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Haut Maroni, Guyane française,
février 2009

Témoignage de Kindy Opoya

Je m’appelle Kindy Opoya, je suis née en 1986 au village Talhuen. Talhuen se trouve environ à deux heures de pirogue, sur le fleuve Aletani en amont de Maripasoula. J’ai vécu au village jusqu’en 2004, avant de me rendre sur le littoral à Saint-Laurent du Maroni, où j’ai préparé un CAP de la petite enfance.
Je suis actuellement assistante de vie scolaire dans mon village.

Lorsque je me rends sur le littoral, en écoutant les informations il m’arrive d’entendre le discours de l’Etat : en résumé, la lutte contre l’orpaillage clandestin est difficile, mais l’Etat fait ce qu’il faut pour garder le contrôle de la situation. Des progrès ont été réalisés, et l’Etat va y arriver petit à petit.

En vérité, tous ceux qui vivent sur place voient bien que l’Etat est largement débordé par le développement de l’orpaillage.

Aujourd’hui le quotidien dans nos villages, c’est la peur des garimpeiros. La peur le jour et la nuit. Les clandestins, nous leur consacrons presque tout notre temps. C’est notre première préoccupation. Les garimpeiros ont envahi notre vie, de jour comme de nuit.

Chaque jour nous craignons de trouver notre abatti dévasté, parce que les garimpeiros se servent sur nos abattis : la canne à sucre, les dachines, les bananes … chaque jour nous avons peur de faire une mauvaise rencontre, lorsque nous nous rendons en forêt.

La nuit, c’est l’inquiétude en permanence. On dort mal, parce que le bruit des pirogues à moteur nous réveille plusieurs fois par nuit. Beaucoup de villageois dorment armés, car ils se méfient. Ils se disent que les garimpeiros pourraient très bien se rendre dans nos villages, nos villages sont ouverts.

La nuit on nous vole nos moteurs. Les clandestins récupèrent dans nos villages les moteurs que les gendarmes leur saisissent sur les placers. Pour éviter cela il nous faut les enlever des pirogues et les surveiller la nuit. Les garimperos ont déjà volé des moteurs aux gendarmes eux-mêmes.

On a peur, bien sûr, mais parmi ceux qui ont peur il y en a qui veulent se défendre. Il faut un certain courage pour arrêter une pirogue de clandestins, l’aborder et tout débarquer à l’eau. Il y a des volontaires, mais on ne sait jamais ce qui peut se passer. Il y a déjà eu des échanges de coups de feu. Les garimpeiros ont peur sans doute aussi, parce qu’ils savent que nous sommes dans une situation intenable, mais peut-être que la présence des gendarmes les rassure.

L’eau du fleuve qui passe devant notre village est sale. Sale et blanchâtre depuis plusieurs mois. Il devient gênant de laver son linge, de se laver, de laver son enfant qui va boire cette eau en se baignant. L’eau du fleuve est sale en ce moment à cause d’un nouveau chantier, un très grand chantier d’orpaillage qui se trouve sur la crique Lipolipo, une rivière qui débouche sur l’Aletani. Dans nos village, les puits et les pompes mis en place par l’administration ne fournissent de l’eau potable que quelques heures par jour, le matin seulement.

Au mois d’octobre 2008, les légionnaires se sont installés à Twenke. Les légionnaires faisaient bien leur travail : au début de leur installation aucune pirogue de clandestins ne passait, ni sur la Lipolipo ni sur l’Aletani, ni sur le Tampok. Les légionnaires étaient autoritaires et énergiques, ils défendaient vraiment le fleuve, sans avoir peur de bousculer les clandestins, ni de jeter leurs cargaisons à l’eau. Mais je crois qu’on leur a fait le reproche d’être trop agressifs : un jour ils ont sévèrement battu un clandestin devant tout le monde. Depuis ils sont devenus moins énergiques.

Les gendarmes c’est autre chose. Ils sont calmes et ordonnés, ils disent qu’ils attendent les ordres du sous-préfet pour intervenir, mais les ordres ne viennent pas. Ils se plaignent souvent que le sous-préfet ne leur donne pas assez de moyens. Ils disent que le fleuve est international, et qu’ils ne peuvent pas arrêter les gens qui y passent. Parfois ils contrôlent tout de même les pirogues, mais les brésiliens s’amusent d’eux : ils leur montrent des fausses autorisations pour travailler en amont du côté Suriname, rédigées en néerlandais, mais une fois passé le contrôle ils traversent le fleuve pour se rendre à Lipolipo, du côté français vers 18 heures. Les gendarmes le savent bien, mais ils ne peuvent rien faire.

Les clandestins n’ont pas peur des gendarmes. Les gendarmes cherchent toujours à éviter les
confrontations, ils crient "Attention, gendarmerie", pour se protéger eux-mêmes, mais cela n’empêche pas les clandestins de passer. Les clandestins s’y prennent à dix ou quinze pirogues, ils ont des moteurs de cent-quinze chevaux, ils se regroupent et ils foncent. Cela se passe deux ou trois fois par semaine. Depuis longtemps nous avons décidé d’assister les gendarmes contre leur gré. Nous le faisons régulièrement, les hommes et les femmes, nous faisons des brigades, chacun son tour. Une fois, en novembre 2008, sur le Tampok, nous nous étions mis avec les gendarmes, en embuscade pour attendre un convoi de clandestins.

Nos fusils étaient au fond des pirogues, au cas où on en aurait besoin. Il était minuit. A l’endroit où nous étions, le Tampok se rétrécit sur un saut, et à cette époque l’eau était très basse. Les gendarmes étaient cachés au fond des pirogues. Les clandestins sont arrivés, il y avait sept pirogues, des surinamiens et des brésiliens, ils fonçaient. Au dernier moment les gendarmes se sont levés, ils ont crié "Halte, gendarmerie !", mais cela n’a rien fait. Nous nous sommes alors placés sur leur chemin pour les arrêter, alors qu’ils devaient ralentir à cause des rochers sur le saut. La plupart des clandestins se sont jetés à l’eau et ont abandonné leurs pirogues, leurs moteurs et toutes leurs affaires pour ne pas se faire prendre. C’est comme ça qu’ils font. Cette nuit-là, seulement trois pirogues ont pu être contrôlées.

Malgré l’arrivée des légionnaires et des gendarmes, la situation chez nous n’a fait que  s’aggraver. Ils ne parviennent pas à retenir les clandestins, ils sont débordés. Il y a cet énorme chantier d’orpaillage, du côté français contre lesquels ils ne font rien : j’ai parlé de Lipolipo, mais il a aussi Pëlekumalu, où les clandestins sont plusieurs centaines : sur leur chantier il y a des magasins et une discothèque. En face, au Suriname ils stockent leur matériel. A Yaopasi, presque en face de Twenke, mais aussi tout près de Maripasoula : là il y a une grande ville nouvelle construite par les brésiliens.

Il y a aujourd’hui environ dix gendarmes et quarante légionnaires à Twenke. Ils logent dans les carbets des villageois. Ils ont construit des tinettes partout. Avec les quads qu’ils ont saisis aux clandestins, les gendarmes dévastent le terrain, c’est vraiment gênant. Nous nous disputons souvent avec les gendarmes, on leur reproche de ne pas être efficaces. Lorsque nous arrêtons une pirogue de clandestins, ils nous empêchent de nous servir, mais eux-mêmes font la cuisine avec les marchandises qu’ils saisissent. Nous leur disons souvent cela : "Vous vous en foutez, vous n’êtes pas chez vous …". Les gendarmes se brossent les dents avec de l’eau Chanflor, et tout ce qu’ils mangent vient de Maripasoula.

Les amérindiens se disputent aussi entre eux à cause de l’orpaillage. Ils sont divisés sur la conduite à tenir. Il y a ceux et celles qui se résignent et ceux et celles qui se battent. Il y en a qui, petit à petit, se lancent dans le commerce avec les orpailleurs, d’autres encore qui se lancent dans l’orpaillage. Les chefs coutumiers sont de plus en plus contestés. Mais que peuvent-ils faire ? L’entente se dégrade chaque jour, les amérindiens se disputent à cause de l’orpaillage. Lorsqu’il y a des vacances scolaires, tous les villageois qui le peuvent quittent le village pour se rendre sur le littoral, comme je le fais moi-même. Il n’y a plus de douceur de vivre chez nous.

Je souhaitais témoigner sur ce qu’est devenue la vie de tous les jours dans les villages  amérindiens du Haut Maroni. Les journalistes ne restent jamais assez de temps pour comprendre tout ce qui se passe, mais quand même, c’est bien, ils font des reportages. Je sais bien qu’aujourd’hui beaucoup de gens sont au courant, les autorités, les médias, la population en Guyane et en France. Mais ils ne savent pas que depuis plusieurs années, presque tous les jours et toutes les nuits notre vie est en désordre.

Je fais ce témoignage sans croire qu’il peut être vraiment utile. Je ne sais pas si cela sert que tout le monde sache, parce que la situation empire chaque jour.


Kindy Opoya, au village Balaté, le 7 février 2009


Contact Brigitte Wyngaarde : aruacay@wanadoo.fr


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